Mécanique de l’apprentissage
partie 01 — Introduction sur la mémoire
Pour beaucoup, apprendre est une mécanique complexe dont le succès résulte du temps passé en cours, du QI ou de la capacité à ingurgiter un nombre incalculable de données. Cette vision provient d’un phénomène historique : l’apprentissage fut longtemps réservé à une catégorie socialement élevée et motivée. Aujourd’hui, l’école est devenue obligatoire et l’apprentissage n’est plus une chance mais un devoir, perdant son caractère motivant. Dans cette série d’articles j’essaierai de répondre à cette problématique. Existe-t-il d’autres moyens d’apprendre ? Comment fonctionne notre mémoire ? Qu’est ce qu’une intuition ?
La mémoire, un mécanisme d’association et de reconstruction.
L’apprentissage est un processus qui consiste à conserver, à “stocker” une connaissance (donnée, émotion, image, odeur…) puis à la faire persister dans la mémoire afin de la mobiliser en cas de besoin. l’apprentissage est donc la première étape de la mémorisation. Pourquoi des guillemets à “stocker” ? Simplement parce que la mémoire n’est pas une bibliothèque. Elle ne collecte pas de données dans le sens robotique du terme. La mémoire associe des images, des expressions, des sons pour reconstituer un souvenir. On dit qu’elle est associative et reconstructive.
Par exemple, le morceau de musique “The Subways — Rock & Roll Queen” me rappelle une soirée dans un bar, il s’agit bien d’une association. De plus, je me rappelle de visages, d’expressions et de bribes qui constituent une reconstitution de la soirée (même si l’alcool a pu altérer ma mémoire mais c’est une autre histoire). crédit photo : the rumjacks
Notre cerveau fait constamment appel à ces deux phénomènes : association et reconstruction. On comprend mieux pourquoi ingurgiter des informations isolées est si difficile. L’association est d’autant plus forte que l’image, le son, l’odeur, la forme , le geste et l’émotion sont présents.
L’apprentissage n’a pas seulement besoin d’être précis, il nécessite un contexte, un environnement, une émotion lorsque la connaissance est acquise. Puis, celle-ci est rappelée par un stimulus pour être associée et reconstituée. Il est donc techniquement très difficile de retenir à long terme une information isolée qui n’a aucun rapport avec une connaissance déjà acquise.
La mémoire de travail, un bon outil ?
La mémoire est une des activités les plus importantes du cerveau, parce qu’elle constitue le moyen de comprendre l’environnement, d’en former une image et de mobiliser des ressources pour modifier un comportement.
Il existe plusieurs types de mémoire qui font appel à diverses aires du cerveau. La première est la mémoire sensorielle qui nous sert à interagir avec notre environnement. Elle est instantanée, on la dit automatique. La seconde mémoire dite à court terme permet de conserver des éléments de la mémoire sensorielle pendant environ une minute. Elle dépend malheureusement de l’attention. Ce que nous appelons mémoire de travail est souvent apparentée à la mémoire à court terme, en réalité elle est un pont entre celle-ci et la mémoire à long terme. La mémoire de travail est la plus sollicitée dans notre environnement scolaire, elle permet de s’appuyer sur le réceptacle d’éléments agrégés dans la mémoire court terme, de les répéter pour espérer les mémoriser. Il est donc facile de comprendre que ce mode d’apprentissage n’est pas efficace pour imprimer des éléments de façon durable dans notre mémoire. En effet le nombre d’éléments sensoriels mémorisés ne dépassant pas une minute dans la mémoire à court terme, difficile de retenir la globalité d’une connaissance complexe.
D’ailleurs, vous rappelez-vous de la première phrase de cet article ?
La mémoire procédurale : faire de la connaissance une intuition.
Contrairement à ce que l’on imagine, la mémoire à long terme comprend la mémoire des faits récents et des faits anciens. Elle fait appel à trois phases : encodage, stockage et restitution. L’encodage fait référence à la connaissance mais aussi à son contexte : environnemental et émotionnel. Pour éviter d’oublier, il faut stocker la connaissance encodée. Le sommeil dans sa phase paradoxale permet la rétention de la connaissance et de son contexte (d’ou la nécessité de bien dormir). Enfin, la restitution fait appel à l’encodage pour transférer la connaissance dans la mémoire de travail. La mémoire procédurale est la mémoire implicite des habiletés motrices, des savoirs-faire et des gestes quotidiens.
Si je vous demande de vous rappeler où était située la poignée de la porte d’entrée de votre premier lieu de vie après votre domicile parental, vous ne trouverez pas de suite.
Pour une telle question, l’effort que vous fournissez est considérable parce que la mémoire utilisée pour retrouver l’information n’est pas déclarative (de connaissance factuelle) mais de procédure : “comment ouvrais-je cette porte ?” Votre cerveau essaie de reconstituer la connaissance, il est donc sujet aux biais et distorsions. Ce type de connaissance fait appel à un contexte. Un jour, lorsque vous serez face à votre porte, vous vous rappellerez d’un coup la réponse, parce qu’elle fait appel à un environnement spécifique, un parcours cognitif, une émotion. Mais la mémoire procédurale nous permet de réaliser toutes nos activités quotidiennes, au travail comme dans notre vie personnelle. Ces souvenirs sont utilisés inconsciemment et sans hésitations possibles. Ils sont devenus intuitifs -au sens cognitif du terme-. Ce type de mémoire est donc plus forte dans l’acquisition de connaissances.
Il suffirait de parvenir à contextualiser la connaissance d’une manière suffisamment forte pour pouvoir la restituer dans la vie de tous les jours de manière intuitive.
Le jeu, moyen naturel de l’apprentissage ?
Apprendre par cœur n’est donc pas le meilleur moyen de rétention de l’information contrairement à la mémoire de procédure. Le meilleur exemple est d’ailleurs naturel. En effet, dès leur plus jeune âge, les animaux jouent, se battent et simulent pour être capable de se défendre un jour. Un tel mécanisme n’existerait pas dans la nature s’il n’était pas réellement efficace (dédicace à Darwin).
Le jeu est une contextualisation de la connaissance qui a pour but d’associer le souvenir à la situation présente pour reconstituer les bons gestes. “Un animal m’attaque, je dois fuir ou combattre, pour combattre je fais comme avec mon frère quand j’étais petit”. crédit photo : ucumari photography
La simulation est le meilleur moyen d’assimiler une connaissance concrète pour l’ancrer directement dans la mémoire long terme. Mieux encore, elle est plus accessible parce que naturelle ! L’intérêt grandissant du serious game (jeu sérieux) dans notre système éducatif tend à prouver l’efficacité de cette méthode. De plus en plus d’outils pédagogiques s’appuient sur les mécanismes d’apprentissage du jeu vidéo : applications mobiles, jeux de plateaux, sites, e-learning, réalité virtuelle et même réalité augmentée. Plus le jeu est immersif, plus le contexte d’acquisition est fort et donc la connaissance stockée efficacement. Ainsi, il n’est pas surprenant de voir la réalité virtuelle percer dans la formation des professionnels, l’éducation ou encore la transmission d’informations très techniques.
La connaissance est à la fois dans la mémoire et dans l’interprétation qu’elle en fait. C’est ce que nous appelons l’intuition. Il est donc facile de comprendre qu’une mémoire pratique, procédurale est plus efficace à long terme qu’une mémoire flash (de travail). De plus en plus d’outils pédagogiques et de méthodes poussent à changer notre façon d’acquérir une connaissance, à nous de faire découvrir aux nouvelles générations les outils éducatifs de demain !